XV - Retour de fête mouvementé

Nous étions dans les années cinquante. Au mois d’août, Jean était venu passer quelques jours de vacances chez nous, dans la ferme des Cévennes. Il était arrivé de Montpellier avec son petit vélomoteur. Un dimanche, nous décidâmes de nous rendre à la fête de Barre des Cévennes, qui se trouve à une vingtaine de kilomètres de la maison. Jean effectuerait le trajet sur son engin, et moi je prendrais mon jeune frère sur ma moto. La soirée se déroula fort bien, et vers deux heures du matin, nous étions sur le chemin du retour.

La soirée était fraîche, et nous enfilâmes les gros chandails que nous avions pris dans les sacoches de la moto. Au début, tout alla bien, à part un petit vent qui nous transperçait, surtout sur le plateau de la Can qui se trouve à mille mètres d’altitude. Tout à coup, l’éclairage du vélomoteur de Jean s’éteignit. L’ampoule du phare avait dû griller. Alors, il se mit à rouler derrière moi tout doucement. Au bout du long plateau de la Can se trouve un grand virage avant d’amorcer la descente sur le Pompidou. J’étais en train de le négocier lorsque j’entendis un grand fracas, et j’aperçus Jeannot étalé sur le sol comme une crêpe, sans réactions. Nous allâmes à son secours, En le mettant debout, il n’avait apparemment rien de cassé, simplement un peu de commotion. Le vélomoteur qui avait dérapé sur le gravier n’avait subi aucun dégât. Nous ne savions pas trop ce que nous devions faire, lorsque tout à coup, voilà Jean qui sort de sa torpeur, commence à enlever son pull, ensuite sa chemise, qu’il range dans sa sacoche, et enfourche son vélomoteur, sous nos regards ébahis. «Ce n’est rien, nous dit-il, j’ai trop chaud. Je passe devant et vous m’éclairerez par-derrière». Les sept derniers kilomètres se passèrent ainsi. J’avais toutes les peines du monde à le suivre. J’étais transi, pendant que lui, torse nu, roulait comme un fou. Arrivé à la maison, il prit ses vêtements sous son bras et rejoignit sa chambre sans tarder, refusant de venir avec nous prendre une boisson chaude, et se réchauffer d’une bonne flambée auprès de la cheminée.

Le lendemain, vers les neuf heures, nous le vîmes arriver tout guilleret. Il n’avait pas attrapé le moindre petit rhume.



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