XVII - Une douche froide

Jules habitait le hameau de Gabriac, chef-lieu de notre petite commune. A cette époque, il vivait seul avec sa femme, les enfants s’étaient envolés vers d’autres horizons. Il possédait un âne, qui, muni de son bât, lui rendait de grands services pour transporter le bois, les châtaignes, les pommes de terre, c’est-à-dire tous les produits qu’il récoltait sur ses parcelles de terrain dispersées et surtout escarpées.

Un après-midi de novembre, il décida de se rendre au village du Pont Ravagers pour effectuer divers achats chez monsieur Bastide le commerçant et chez le cordonnier, monsieur Rouvière. Bien sûr, il prit son âne, qui transporterait la marchandise au retour. (Avant de poursuivre mon récit, il serait bon d’expliquer que, pour se rendre au Pont Ravagers, il faut d’abord passer par Sainte-Croix-Vallée-Française, distante de deux kilomètres, ensuite, faire deux kilomètres de plus sur la route nationale afin de rejoindre le village en question. En arrivant à Lacanal, une ferme située au bord de la route, huit cents mètres avant Sainte-Croix, on aperçoit de l’autre côté de la rivière qui se nomme le Gardon, la route qui conduit vers le Pont Ravagers). Donc, Jules, pour éviter de faire ce long détour, décida de franchir la rivière, qui n’était pas très grosse en cette saison. Il monta sur le dos de l’âne pour traverser, car, n’ayant pas de bottes, il aurait pris un bon bain de pieds. L’âne en rentrant dans l’eau fut sans doute surpris par le froid et s’immobilisa au milieu du courant. L’homme eut beau le prendre d’abord par la douceur, ensuite à grands coups de pieds dans les flancs, rien n’y fit. L’animal s’obstinait à rester sur place. Jules commençait à s’énerver sérieusement, mais il n’osait pas sauter dans l’eau pour faire avancer le bourricot. Emile, qui logeait à la ferme, et qui de sa fenêtre assistait au spectacle, eut soudain une idée. Il fixa avec une ficelle un pinceau au bout d’un long bâton. Il prit dans une vieille boîte de conserve de l’essence de térébenthine et se rendit auprès des baigneurs. Après avoir trempé le pinceau dans l’essence de térébenthine, il en badigeonna le postérieur de l’animal, directement sous la queue. L’âne fut si vivement surpris qu’il fit une ruade qui envoya son cavalier au beau milieu de la rivière. L’animal partit comme une fusée à travers le talus et disparut dans la nature.

Quant à Jules, qui barbotait dans l’eau, il en sortit grâce à Emile. Il était trempé de la tête aux pieds et grelottait de froid. Il se dépêcha de se rendre auprès de la cheminée et changea de vêtements avant qu’une congestion le prenne. Emile lui fit boire un café bien chaud, et surtout bien arrosé, mais pas avec de l’eau, cette fois.

Jules se faisait du souci pour son âne. Où pouvait-il bien être allé? Il retourna chez lui afin de mieux réfléchir avant de prendre une décision. Arrivé à cent mètres de la maison, il entendit le ‘’hi-han’’ de l’animal, qui l’attendait tranquillement devant l’écurie.



 

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