XIX - La nuit de noces ratée

Il y a une dizaine d’années, Yvette et moi décidâmes d’aller en Italie.

C’est donc en voyage organisé que nous partîmes en car, pour visiter pendant une semaine plusieurs lieux historiques de ce beau pays. Entre autres, Florence, Rome, Assise et la tour de Pise. Dans le fond du car se trouvait une personne d’une soixantaine d’années. Il était difficile d’apprécier son âge, car elle ne répondait à aucun critère distinctif. Cette femme portait toujours des vêtements foncés et n’affichait pas de coquetterie apparente. Elle serait passée totalement inaperçue, si ce n’était qu’à chaque arrêt du car, que ce soit pour une visite ou simplement pour nous restaurer, elle était toujours en retard à l’heure du départ. Il fallait attendre parfois dix minutes, parfois un quart d’heure, avant que la dame daigne arriver. Le chauffeur s’impatientait, les voyageurs rouspétaient. Elle ne s’en faisait pas pour autant et rejoignait sa place, sans un mot, le visage fermé. Il en fut ainsi durant tout le voyage.

Nous avions sérieusement entamé le voyage de retour, et la bonne humeur régnait dans l’autobus. Certains passagers chantaient, d’autres se mirent à raconter des histoires plus ou moins croustillantes. Tout à coup, cette personne, qui était resté muette tout le long du parcours, se leva de son siège, se rendit à l’avant du car où se trouvait un micro, et, à la stupeur générale, annonça qu’elle allait nous raconter sa nuit de noces. Le plus grand silence se fit, l’on aurait pu entendre voler une mouche.

Alors, elle commença son histoire. Elle avait une vingtaine d’années lorsqu’elle fit la connaissance d’un garçon d’un village voisin. Ils se plaisaient beaucoup, et, avec le consentement des parents, décidèrent de se marier. Bien sûr dans sa jeunesse, il n’était pas question d’avoir de trop grandes intimités avant le mariage, tout juste quelques baisers à la dérobade. D’ailleurs, les parents veillaient au grain.

Le jour des noces arriva enfin. Les cérémonies habituelles étant terminées, le repas et la fête battaient leur plein. Comme c’était la coutume, les époux devaient, aux environs de minuit, fausser compagnie à toute l’assemblée, pour enfin se retrouver seuls dans un endroit tenu secret. Parfois, cela se passait chez des amis complices ou chez des parents voisins. Eux, ils avaient aménagé un petit coin dans la maison même de la jeune fille, sous les combles. Il fallait traverser la grange et grimper à l’aide d’une échelle pour rejoindre leur petit nid. Bien entendu, une fois en haut, ils retireraient l’échelle, et personne ne viendrait les déranger. Ils éviteraient la désagréable surprise de voir arriver vers le petit matin tous les jeunes gens de la noce, apportant une marmite pleine d’un breuvage plus ou moins douteux.

Il était minuit passé quand la lumière vint tout d’un coup à manquer. Cela faisait partie du rituel. Les mariés en profitèrent pour disparaître, profitant de la confusion générale. La jeune femme grimpa à l’échelle en premier, dans l’obscurité. Mais le garçon, qui avait peut-être un peu abusé de la bouteille, manqua le dernier échelon et tomba comme une masse sur le sol en ciment de la grange. Il se mit à hurler de douleur. La lumière étant revenue, les gens accoururent en entendant ces cris. Le docteur, appelé de toute urgence, constata une belle fracture de la jambe. Il fit emmener sans plus tarder le blessé à l’hôpital.

La guérison fut longue, et ce ne fut que bien plus tard que le mariage fut consommé, comme on dit.



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