XX - Une arrivée en vacances mouvementée

Mon frère Claude, étant encore célibataire, travaillait à Saint-Etienne dans une usine comme mécanicien ajusteur. Chaque année au mois d’août, pendant ses congés, il venait passer quelques jours chez nous en Cévennes dans la maison familiale. Il effectuait le trajet en vélomoteur, et par la suite en moto.

Ensuite, comme il venait d’acquérir une voiture d’occasion (une 4CV Renault, je crois), il pensa faire la route plus confortablement, et en profiterait pour amener notre neveu Robert, qui avait sept ou huit ans. Robert était le fils aîné de ma soeur Odile, qui habitait également Saint-Etienne. Nous les attendions au début de l’après-midi, comme Claude nous l’avait confirmé par courrier.

Je venais de faire une légère sieste et j’étais sorti sur le pas de la porte pour avoir un peu de fraîcheur, car le temps était très lourd. J’entendis un coup de klaxon qui résonnait dans le lointain. Je compris que nos voyageurs n’étaient pas loin. Je grimpais les marches qui conduisent à la magnanerie, d’où l’on découvre en amont la route sur plusieurs centaines de mètres. En effet, la voiture émergeait d’un léger virage, et descendait la pente, mais à une allure folle. Il faut souligner qu’à cette époque, la route était étroite et non goudronnée. J’étais surpris et étonné d’une telle vitesse, vu l’aspect du chemin, lorsque j’aperçus l’auto se mettre tout à coup en travers de la route, se cabrer et disparaître dans le ravin au milieu d’un bosquet de chênes. Ce spectacle hallucinant fut accompagné d’un bruit sourd, et puis, plus rien.

Je restais sans réaction, dans ma tête défilaient les pires choses. Je les voyais tous les deux écrabouillés sous la voiture. Mes parents, qui étaient sortis eux aussi, comprirent vite ce qui venait de se passer. Nous nous mîmes à courir en direction de l’accident. Il y avait deux ou trois cents mètres à parcourir en pleine côte. J’avais les jambes coupées, malgré mes efforts, je n’arrivais pas à avancer très vite. Quant aux parents, ils faisaient du surplace. Arrivé sur les lieux, je vis d’abord le véhicule tout disloqué. Il était aplati sur un tas de branchages, les portières étaient grandes ouvertes. J’entendais remuer tout à côté, dans les chênes. J’aperçus mon frère Claude qui tournait dans tous les sens, cherchant quelque chose. Je l’appelai pour avoir des nouvelles. «Je n’ai rien, me dit-il, Robert n’est pas avec moi. Je suis en train de chercher des melons qu’Odile m‘avait donnés pour vous remettre. J’en ai trouvé deux, mais il manque le troisième». Evidemment, je compris tout de suite qu’il était choqué, mais miraculeusement indemne. Sans plus tarder, j’annonçai la bonne nouvelle aux parents qui, du coup, retrouvèrent leurs jambes de vingt ans. Parfois, la chance vous sourit, et ce fut le cas pour Claude. Tout d’abord, Robert décida au dernier moment d’attendre ses parents. Quant à Claude, nous nous sommes demandés pendant longtemps comment il n’avait pas eu la moindre égratignure après une telle chute. Je suppose qu’il fut éjecté de la voiture avant le dernier choc, qui fut à son tout amorti par du bois de chêne récemment entassé juste à cet endroit.

La voiture étant inutilisable partit à la casse au plus vite. Quant à Claude, ayant récupéré ses fruits, sa valise et son contenu, qui s’était éparpillé dans la nature, il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé. J’ai dit que la route était mauvaise. Comme il roulait trop vite, il a dû rencontrer une petite ornière qui a fait dévier la voiture vers la gauche et heurter violemment le talus de pierres. Du coup, l’auto s’est mise en travers et est partie à reculons dans le ravin, pour atterrir plusieurs mètres plus bas sur le tas de branches qui servir d’amortisseur.

Mais quelle frayeur avons-nous pu avoir! C’est bien la plus grande peur que j’ai eue de ma vie.



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