XXVIII - Le marchand ambulant

Nous étions au début de l’automne, l’année précédant la guerre de 39-45. Par le courrier, nous avions été avertis du passage dans notre petit hameau d’un camion chargé de marchandises diverses, à des prix défiant toute concurrence. En effet, dans le courant de la semaine, un véhicule débarqua sur la petit place, et à grands coups de klaxon signala fortement sa présence. Comme c’était la première fois qu’un tel événement se produisait, tous les habitants accoururent, plus par curiosité que pour autre chose.

Le marchand et sa femme, ainsi qu’un jeune commis, installèrent rapidement plusieurs tréteaux et y entassèrent dessus des montagnes de linge. Cela allait des couvertures aux draps de lit, en passant par les édredons, serviettes, mouchoirs, etc... Après avoir bu un grand verre d’eau, l’homme commença son numéro. Il n’était pas à court d’arguments. Il ne vendait pas à la pièce, il ne faisait que des lots de différents volumes et de différents prix, bien entendu, les plus gros étant, et de beaucoup, les plus avantageux. Il déployait une grande et belle couverture qu’il faisait toucher aux gens. Ensuite, il en rajoutait deux, puis trois, de la même matière, disait-il. Pour les draps, c’était pareil, de plus en plus beaux et solides, le tout pour une somme modique. Comme les gens hésitaient, il ajoutait un superbe dessus de lit, puis il suppliait sa femme d’aller chercher des douzaines de serviettes de qualité supérieure, et enfin, comme les clients lui étaient sympathiques, il faisait un dernier effort et ajoutait des mouchoirs pour toute la famille. Au fur et à mesure, il entassait toute cette marchandise sur les épaules du jeune garçon, qui, petit à petit, disparaissait sous le tas. Il était prêt à vous livrer directement le ballot chez vous. Les unes après les autres, les quatre ou cinq familles se laissèrent convaincre. Suivant sa bourse, chacun prit le lot lui paraissant le plus avantageux.

Bien sûr, une fois à la maison, on se rendit vite compte que la bonne affaire n’était en réalité pas si bonne. Les couvertures, sauf celle qu’il avait déployée, étaient beaucoup plus petites, et de qualité inférieure. Il en était de même pour les draps et les dessus de lit. Quant au reste, c’était du pareil au même. Il faut reconnaître que son baratin avait payé au-delà de toute espérance et que nous nous étions fait un petit peu avoir.

Il eut la bonne idée de ne plus revenir au village, car je pense que, cette fois, ses beaux discours n’auraient pas suffi à influencer la raison et la sagesse des Cévenols.



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