III - Une fête aux odeurs douteuses

Nous étions en pleine saison de vendanges. Comme tous les ans, avec plusieurs copains, nous nous rendions au mas de Cardet, dans une grande propriété, pour ramasser la récolte de raisins à forfait, c’est-à-dire dans les délais les plus rapides, de la pointe du jour à la nuit tombante.

Un dimanche, ayant quitté le travail un peu plus tôt (pour faire la barbe, disait-on), je décidai avec mon frère et un camarade d’aller à Lézan, où avait lieu la fête votive. Après le repas, et nous étant mis sur notre trente-et-un, nous partions à vélo pour nous rendre au village, distant d’une dizaine de kilomètres.

Le bal n’avait pas encore commencé. En attendant, nous allâmes prendre un verre au Café du Centre. Ensuite, nous descendîmes la rue principale. Comme elle n’était pas très longue, nous nous trouvâmes en rase campagne au bout de quelques minutes.

L’obscurité était presque totale. C’est à ce moment-là qu’un petit besoin pressant me prit, et comme dit le proverbe : « Un bon pissou en fait pisser trois ». Mon frère et le copain se dirigèrent vers le bas-côté de gauche, moi, j’allai à droite en dehors de la route.

Le temps de réaliser ce qui m’arrivait, j’étais enfoncé jusqu’à la ceinture dans une vase puante. C’était un caniveau qui recevait les eaux usées du village, et, bien entendu, aucune protection n’était prévue. Je barbotais dans cette gadoue, et m’enlisais de plus en plus dans une odeur suffocante. A mon appel, mon frère et le copain arrivèrent en vitesse pour me sortir de ce bourbier. Ils étaient complètement écœurés, j’en vis même un qui restituait son souper...

A part ça, tout allait très bien, rien de cassé, la boue avait servi d’amortisseur. J’étais debout au bord de la route, laissant dégouliner toute cette puanteur autour de moi. Ayant repris mes esprits, et voyant les deux autres qui commençaient à plaisanter à mon sujet, il ne me restait plus qu’à reprendre mon vélo pour aller me nettoyer, ce qui ne fut pas facile.

Il n’y avait pas de douche à la ferme. Heureusement, des comportes étaient là, qui servaient au transport des raisins. J’en remplis une qui me servit de baignoire, pour enfin arriver à me débarrasser de toute cette glu. Quant aux vêtements et aux chaussures, il n’était plus question de les utiliser.

Le lendemain, il y eut pas mal de plaisanteries à mon sujet. On me demandait si la pêche avait été bonne, ou on me disait que j’aurais dû aller au bal dans cet état, au moins la place ne m’aurait pas manqué pour danser. Tout cela n’était pas bien méchant et nous fit paraître la journée plus courte.

J’ai su par la suite que je n’avais pas été le seul dans ce cas, avant que les autorités ne se décident à prendre des dispositions.
 



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