XXXIV - Buisson bis: les mêmes difficultés

Le fils de ce brave Buisson, c’est-à-dire mon véritable arrière grand-père, n’eut guère la vie plus facile. Il habitait le Pereyrol (comme son père avant lui) qui au départ était une ferme importante. Elle fut morcelée lors d’héritages entre de nombreux enfants.

(C’est une longue et incroyable histoire, que je me propose de vous raconter prochainement). En attendant, la part de chacun était extrêmement petite, et du même coup, peu rentable. Dans la partie réservée à mon bisaïeul se trouvait un petit ruisseau où coulait une faible source toute l’année. C’était un coin non loin de la maison, mais assez escarpé. Les grosses pluies d’hiver avaient creusé passablement le lit du cours d’eau. Le nom de Pereyrol venait du mot pierre ; cela signifiait que ce n’étaient pas les cailloux qui manquaient, surtout le long du long ruisseau.

Alors le père de grand-mère, pendant l’hiver, les jours de lune, passait une partie de la nuit à entasser des tas de pierres. Ensuite, dans la journée, quand le temps le permettait, il les assemblait pour faire des murs d’une hauteur de deux mètres sur une longueur de trente mètres environ. Il en fit quatre en tout; j’ignore sur combien de temps, sûrement plusieurs hivers. Ensuite, il fallut apporter des mètres cubes de terre pour combler derrière les murs, à l’aide d’un panier de sa confection, pour obtenir des parcelles de terrain et y cultiver des légumes et même de la vigne pour faire un peu de vin. C’étaient de vrais jardins, qu’il pouvait arroser  avec la source qui se trouvait en amont. Cela aida grandement à nourrir sa famille, composée de trois filles.

Sa femme, c’est-à-dire mon arrière grand-mère, était native de Massevaques, petit hameau non loin de l’Aigoual et qui se situait près de la vallée de Vebron. Je ne sais comment ils s’étaient connus, car les distances étaient assez grandes: plus de cinq heures de marche à pied, les transports en commun étant encore à inventer. Ce fut certainement par l’intermédiaire de connaissances.

A Massevaques, il y avait d’immenses pâturages, où l’été venaient brouter d’énormes troupeaux de mouton, arrivant par des drailles du midi de la France. Les paysans logeaient et nourrissaient les moutons moyennant quelque argent et bénéficiaient du fumier des bêtes, qu’ils faisaient parquer dans les champs, en changeant chaque semaine d’endroit.

Par la suite, au début de l’automne, ils labouraient le terrain à l’aide de boeufs et récoltaient du blé ou du seigle en grande quantité. Il y avait des coins abandonnés, où poussaient d’énormes genêts qui appartenaient au beau-frère de Buisson, un dénommé Roussel.

A la fin de l’été, mon arrière grand-père prenait une très grosse pioche sur l’épaule et partait pour quelques jours chez les parents de sa femme. A l’aide de sa pioche, qui était pourvue d’un tranchant d’un côté, il arrachait ou coupait les genêts. Ensuite, lorsqu’ils étaient presque secs, il les brûlait sur place. Par la suite, muni d’un «bigot» (outil à deux cornes), il retournait la terre pour enterrer les cendres qui servaient d’engrais et semait les grains de seigle que son beau-frère lui fournissait sur l’avance de la future récolte. Il ne restait plus qu’à attendre le mois de juillet prochain pour récolter, suivant les années, un peu de grain pour faire le pain de chaque jour. Bien sûr, il restait à moissonner, battre les gerbes, et, avec un van, débarrasser les balles des précieuses graines de seigle. Par la suite, Roussel, qui possédait un cheval, transportait les sacs sur le dos de sa monture.

Que de travail, que de fatigue, pour obtenir à la fin du compte un si maigre résultat! Pourtant cela était nécessaire, et même essentiel pour arriver à nourrir sa petite famille correctement. Certains de ses voisins, moins courageux que lui, étaient obligés de placer leurs enfants dès le plus jeune âge (neuf ou dix ans) pour aller garder les troupeaux de moutons ou de vaches dans les grandes fermes des environs. Mais j’éviterai de vous parler des mauvais traitements que subissaient la plupart de ces pauvres enfants.



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