XXXVII - Une famille cévenole exemplaire

En parcourant ce livre, surtout dans sa première partie, les rares lecteurs qui auront le courage d’y consacrer un peu de leur temps pourront penser que ces Cévenols, somme toute, avaient des comportements assez étranges. Le nom de ‘’gavots’’ qui leur était donné n’était pas complètement injustifié. Mais que l’on ne s’y trompe pas: au moment de ces faits, la région était encore bien peuplée et les histoires que je relate ne concernent qu’une infime partie de ses habitants. La majeure partie des gens ne se différenciait guère de la moyenne générale des Français ruraux de l’époque.

Dans les campagnes ou les petits villages de France et certainement aussi à l’étranger où tout le monde se connaît et se côtoie journellement, les faits et gestes de chacun acquièrent un intérêt particulier. Ceci n’existe pas dans les grandes agglomérations ou banlieues où la plupart des personnes vivent dans l’anonymat le plus complet. C’est sûrement ce manque de communication qui, à mon avis, est en train de gangrener le monde entier.

Enfin, revenons à nos moutons et à mes petites histoires.

Pour terminer sur une note un peu plus optimiste, je vais vous décrire un passage de la vie d’une famille qui, à mes yeux, reste exemplaire.

Ces gens-là habitaient la Falguière, à quelques centaines de mètres de la maison de mon grand-père maternel. C’était une bonne propriété qui avait abrité une assez grande famille. Le dernier des fils, qui restait seul à la ferme, se maria et eut douze enfants, ce qui était très rare dans notre commune. D’ailleurs, de nos jours, ils sont tous bien portants et ont tous obtenu des situations respectables. J’ai eu l’occasion, lorsqu’ils étaient petits, de me rendre à plusieurs reprises dans cette maison, pour effectuer divers travaux. J’ai toujours été surpris par la façon dont les parents élevaient leurs nombreux gamins. Jamais une parole plus haute que l’autre, une organisation parfaite lorsqu’il s’agissait de les préparer le matin pour se rendre à l’école, distante de deux kilomètres, qu’ils effectuaient à pied, bien entendu. C’étaient toujours quatre ou cinq enfants dont il fallait s’occuper. Le père n’hésitait pas à donner un sérieux coup de main à sa femme avant de se rendre aux travaux des champs. Lorsque j’étais chez ces gens-là, à l’heure des repas, je vois encore cette alignée d’enfants devant la table qui leur était réservée, attendant dans le plus grand des silences que le père vienne les servir, toujours les premiers et copieusement. Ce n’était que lorsque le repas était terminé qu’ils avaient le droit de s’envoler, tels une nuée d’oiseaux. Je n’ai jamais compris comment cet homme si souriant et pacifique avait une telle autorité sur toute cette grande famille. Je pense simplement que c’était l’amour et l’admiration qu’il leur portait. Il était fier et heureux de pouvoir prendre dans ses bras les plus petits. Il les serrait sur son coeur tout en les couvrant de baisers. Heureusement que cela se passait juste après la guerre et que les allocations familiales commençaient à se mettre en place. Sans cette aide, malgré l’énorme travail qu’ils produisaient, autant sa femme que lui, ils n’auraient jamais pu subvenir aux besoins nécessaires à tout ce petit monde. Le dernier des enfants n’avait que cinq ou six ans, lorsque la maman mourut subitement. Trop d’accouchements rapprochés et trop de travail furent, sans nul doute, à la base de cette mort trop précoce. Le père, inconsolable, la rejoignit peu de temps après. Ce furent les aînées, qui se trouvaient être des filles de dix-huit à vingt ans, qui prirent le relais. Malgré leur jeune âge, elles s’acquittèrent de leur tâche dans la continuité de leurs parents.

A présent, tous ces enfants sont des adultes, éparpillés dans l’Hexagone. Ayant formé à leur tour des familles, ils sont toujours restés soudés et il n’est pas rare d’assister plusieurs fois par an à de grandes réunions familiales de plus de cinquante personnes. Toutes ces réunions se passent à la propriété de leurs parents. L’un des fils, qui s’est marié sur place, a créé une ferme modèle, où il fait l’élevage de chèvres et de volailles, avec bien sûr, l’aide départementale et aussi des emprunts. Il lui a fallu faire une chèvrerie moderne et acheter le matériel nécessaire pour l’exploitation agricole. Pendant les courts séjours durant lesquels je me rends dans ma maison de vacances, j’aperçois sur le vallon d’en face ce long défilé de chèvres blanches qui se rendent dans les prairies pour brouter.



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