XXXVIII - Le lit des mariés n’était pas à la bonne hauteur

Tout à coup, il me vient en mémoire une histoire que ma grand-mère me contait lorsque j’avais une douzaine d’années et qui me faisait beaucoup rire.

Jean habitait une ferme voisine, et ne s’était jamais marié. Il n’avait pas, disait-il, trouvé chaussure à son pied. C’est vrai qu’il possédait une grande pointure, ainsi qu’une forte taille et une grosse bedaine. Il vivait avec ses parents et eut la chance de garder sa mère très longtemps. Elle s’occupait de son linge et lui faisait de la bonne cuisine. Que demander de plus pour être heureux? Brusquement, il se retrouva tout seul. Il essaya bien de s’organiser, mais il n’avait aucune notion de travaux ménagers ni de cuisine. Tout juste était-il capable de faire cuire un oeuf ou de faire bouillir des pommes de terre. Quant au linge, la machine à laver n’était pas encore inventée et avec ses doigts crochus, il n’arrivait même pas à enfiler une aiguille de fil pour coudre un simple bouton. Bien qu’il eût passé largement les soixante-dix ans et qu’il commençât à souffrir sérieusement de rhumatismes, il se dit que, peut-être, la compagnie d’une femme ne serait pas à dédaigner. Justement, il se trouvait une veuve dans un hameau voisin, qui vivait seule, elle aussi. Les enfants avaient déserté le nid familial depuis belle lurette. Elle était vieille comme lui, malingre, mais encore assez alerte pour pouvoir lui venir en aide. Il se rendit chez elle et, après fortes discussions, ils décidèrent d’unir leurs solitudes. Bien sûr, il fallait d’abord passer devant Monsieur le Maire, cela allait de soi. Tout de suite, Jean fit appel à un artisan maçon, pour refaire les peintures de l’appartement, qui en avait bien besoin. Il se rendit chez un menuisier de Sainte-Croix-Vallée-Française pour commander un lit en bois de noyer et il alla aussi chez le tapissier et le matelassier afin d’avoir un couchage de première qualité. C’est qu’il n’était pas question de se servir de son vieux lit avec une paillasse, comme il l’avait fait durant toute sa vie. La date des noces étant arrivée, tout était mis en place pour recevoir la nouvelle mariée. Après la cérémonie, des plus modestes, il y eut le soir un bon repas à la maison, avec quelques amis et voisins. Vers minuit, tous les convives se retirèrent, laissant les nouveaux époux enfin seuls. C’est à ce moment précis que les ennuis commencèrent.

S’étant rendus dans la chambre pour se coucher, ils s’aperçurent que le lit était d’une hauteur démesurée. Il est vrai que, dans ce temps là, c’était la mode des lits haut perchés, mais celui-ci dépassait de beaucoup la norme. Et il était fort possible que le menuisier ne fût pas étranger à la chose...

Après la première surprise, Jean aida Maria à grimper sur le lit et il se dit qu’elle le tirerait pour qu’il monte à son tour. Mais il était très lourd, et lorsqu’elle voulut l’aider, ce fut elle qui roula sur le sol. Alors, ils décidèrent de changer de méthode: lui monterait le premier et ce serait elle qui le pousserait. Cela ne fut pas davantage efficace. Après plus de deux heures d’efforts inutiles, n’en pouvant plus ni l’un ni l’autre, Maria se fit pousser dans le lit et Jean, enroulé dans une épaisse couverture, coucha sur la descente de lit. L’histoire ne dit pas si Maria vint à un moment ou à un autre lui rendre une petite visite.

Le tout est que le lendemain, le corps meurtri par de multiples courbatures, Jean se rendit au village chez le menuisier. Il lui fit faire sur-le-champ un escabeau de plusieurs marches. C’était la seule solution à adopter et même l’artisan, un peu goguenard, ne lui fit pas payer l’objet. Ce fut son cadeau de noces, en somme.



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