XXXX - Le malin petit berger

     Gaston n’avait que dix ans, lorsque ses parents le louèrent comme berger, dans la ferme des Martin.

     C’était monnaie courante, si on peut dire à cette époque. Nous étions au début du siècle et la misère était grande dans mes chères Cévennes.

     Alors les familles pauvres et nombreuses, n’avaient d’autres solutions que de se séparer des garçons les plus grands, pour aller garder les moutons chez les propriétaires des environs.

     Cela faisait toujours une bouche de moins à nourrir. Bien sûr il n’était pas question de salaire. C’était déjà bien beau que les patrons acceptent de les héberger, et parfois les vêtir avec des habits usagés de leurs propres enfants.

     Gaston était à la ferme depuis plusieurs mois, et il commençait à prendre un peu d’assurance.

     Depuis quelques jours, le patron lui faisait conduire le troupeau dans des pâturages assez éloignés et lui donnait son repas de midi, qu’il mangeait sur place. Il ne rentrait à la ferme que très tard avec les bêtes.

     Gaston malgré son jeune âge, avait bon appétit, il trouvait que le menu était plutôt maigre. C’était presque tous les jours un morceau du lard qui avait cuit la veille dans la soupe, et un peu de fromage accompagné d’une tranche de pain de seigle.

     Un jour à la place du lard, il trouva un gros os de cochon dépourvu presque de viande, car la patronne avait retiré l’essentiel pour faire un farci. Il eût beau racler à laide de son couteau dans tous les coins, tout juste put-il récolter quelques miettes.

     Alors le soir il se plaint auprès de son patron. Il voulait bien qu’on lui donne les os à ronger, à condition qu’il trouve un peu de viande autour.

     Le fermier qui ne manquait pas de répartie, lui dit «Tu devrais savoir petit, que c’est la chair qui se trouve près de l’os qui est la plus nourrissante. Ce n’est pas nécessaire qu’il en reste beaucoup. Tu devrais même être reconnaissant d’en avoir eu la primeur». Le gamin ne dit plus rien, d’ailleurs il n’y avait plus rien à ajouter.

     Pendant la nuit, les paroles du maître lui trottèrent dans la tête, et le lendemain il avait pris une décision.

     Il partit comme chaque jour avec le troupeau mais le conduisit sur une colline rocheuse, où ne poussaient que quelques herbes maigres et à demi sèches. C’est à grand peine qu’il arriva à contenir le bétail dans cet endroit stérile.

     Au retour le soir, les pauvres bêtes avaient le ventre creux. Le patron ne manqua pas de lui en faire sévèrement la remarque.

     Alors Gaston s’en se démonter lui répondit «Vous savez maître, l’herbe sur les rochers est très rare, mais beaucoup plus nourrissante ! »

     D’après le dire de ma Grand-Mère, à partir de ce jour le menu devint beaucoup plus avantageux. De ce fait tout le monde y retrouva son compte.



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