XXXXI - Le rempailleur de chaises

     C’est encore ma Grand-Mère, qui me racontait cette histoire. Enfouie pendant tant d’années dans ma mémoire, elle remonte tout à coup à la surface.

     Il n’est pas certain que je n’oublie pas quelques détails, je vous prie d’avance de m’en excuser. Comme par exemple, le nom du rempailleur de chaises, qui paraît-il était né quelque part au fond de l’Italie.

     Ce vagabond était accompagné d’un gamin de neuf ou dix ans, qui lui servait de porte bagages, si l’on peut dire, en attendant d’apprendre le métier.

     Tous les deux parcouraient la campagne en quête de menus travaux ! Mais le travail devenait de plus en plus rare, car il y avait beaucoup de concurrents.

     Aussi leur arrivaient-ils de coucher souvent à la belle étoile, le ventre plus ou moins vide. Parfois, des gens compatissants leurs donnaient quelques chaises à refaire, bien qu’elles n’en aient pas trop besoin, c’était disaient-ils à cause de ce pauvre enfant.

     Donc les rempailleurs s’étaient installés dans une ferme, pour la journée et aussi pour coucher. Ce serait si bon de dormir dans de la paille fraîche. La journée se passa sans encombres, et le soir les chaises avaient pris un air de fête.

     Au repas du souper, la maîtresse de maison avait fait de la soupe qui sentait bon le chou. Comme il était de coutume elle apporta la soupière sur la table, et prenant la grosse miche de pain de capagne sous le bras, elle se mit à couper des tranches fines dans le potage. Cela s’appelait «tremper la soupe» (ça se faisait encore couramment pendant ma jeunesse).

     Le rempailleur se servit copieusement le premier, avec de grandes tranches de pain. Ensuite il remplit l’assiette du petit. Le patron et la patronne se servirent à leur tour.

     Tout à coup, la femme se rappela qu’elle avait oublié de retirer de la soupière le morceau de lard qui devait servir de plat de résistance par la suite.

     Elle chercha au fond du récipient et n’aperçût aucune trace de viande. Où donc était-il passé ? Il ne pouvait s’être volatilisé.

     Chacun regarda dans son assiette, pas le moindre petit bout. Alors croyant apercevoir comme un doute dans le regard des fermiers, le rempailleur crût bon de leur expliquer que cela ne pouvait pas être lui, car il avait l’habitude de faire toutes ses bouchés de la même grandeur ; dans ces conditions il se serait bien aperçû de la tranche de lard, si petite soit-elle.

     La discussion en resta là, et l’on passa directement après la soupe au fromage.

     Le petit n’avait rien dit, mais il s’était bien douté de quelque chose, lorsque au début du repas, son maître avait fait un effort pour avaler un morceau forcement plus gros que les autres.



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