XXXXIII - L'enfant et la couleuvre

     Parmi les nombreuses histoires que me racontait ma Grand-Mère, l’une d’entre elles m’avait beaucoup impressionné. Dans une ferme voisine, vivait un jeune couple qui venait d’avoir leur premier enfant.

     Comme c’était la coutume à cette époque (cela se faisait encore au temps de ma naissance), les bébés étaient emmaillotés dans une petite couverture, les jambes bien serrées, afin que plus tard, leurs membres soient bien droits. L’on aurait dit de gros saucissons.

     Ils étaient libérés de cet emballage deux fois par jour, pour les changer et mettre des couches propres. Le reste du temps, après avoir tété leur mère, ils retournaient dans leur berceau, en attendant le prochain breuvage. Les parents avaient autre chose à faire que de distraire leurs petits.

     Cet emprisonnement durait de longs mois, jusqu’au jour où les os avaient atteint une certaine résistance. L’enfant se développait normalement et était surtout très sage.

     Un jour la mère en allant le chercher pour lui faire sa toilette, remarqua que le petit couvre lit remuait. Elle le souleva, et découvrit bien enroulé autour du bébé une grosse couleuvre. Elle poussa un grand cri, ce qui eût pour effet de faire fuir la bête à toute vitesse.

     Ensuite elle appela son mari, qui malgré ses recherches ne trouva pas le serpent. Alors ils décidèrent de changer le petit de chambre afin qu’il soit à l’abri de l’animal.

     L’enfant, qui jusqu’alors était d’une extrême sagesse, devint tout à coup grognon et refusait même toute nourriture. Pourtant, il n’avait pas de fièvre, d’après le docteur, tout semblait normal.

     Au bout d’une semaine, n’en pouvant plus de le consoler, et le voyant dépérir de jour en jour ; ils décidèrent de remettre l’enfant dans sa première chambre. Comme par enchantement les pleurs cessèrent et l’appétit redevint comme avant.

     Le bébé avait retrouvé sa compagne, qui venait s’enrouler contre lui, et se faire caresser. D’après les suppositions que l’on pût faire, leur union commença dès le début, où l’enfant couché sur le côté, comme c’était la mode, avait des renvois de lait dont la bête avait pris l’habitude de se délecter.

     J’ignore jusqu'à quand leur amitié dura, peut être il est possible que au cours de la mue de la couleuvre, cette dernière alla subir sa transformation dans un autre endroit plus tranquille. De même l’enfant qui avait grandi, subit la sienne en abandonnant ses maudites «bourasses», afin de retrouver la liberté de ses jambes.

     A l’âge de vingt ans, Jean était devenu un beau garçon, et avait du succès auprès des jolies filles du pays. Il fit son choix sur une grande et mince demoiselle, très réservée et souriant rarement.

     C’est normal disaient les gens du voisinage que sa préférence aille vers une femme à l’allure longiligne et au regard si froid.



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