XXXXIV - Un âne bien dressé

     Depuis la mort de sa femme, Joseph n’était plus le même homme. Lui si courageux auparavent, travaillant du petit jour jusqu’au crépuscule dans ses champs, ne s’occupait à présent que de cultiver un bout de jardin pour avoir quelques légumes.

     Il passait la majeure partie de son temps à tourner en rond, miné par une trop grande solitude. Sa ferme se trouvait isolée au fond de la vallée, et les plus proches voisins étaient éloignés, et peu sociables. Il ne lui restait plus comme compagnie que son chien, et son âne.

     Mais cela ne suffisait pas à lui faire oublier l’absence de sa chère épouse. Alors, il prit l’habitude de se rendre plusieurs fois par semaine au village de Sainte Croix Vallée Française distant d’une dizaine de kilomètres.

     L’après-midi il attelait son âne à sa carriole, et tous les deux au petit trot, longeaient la vallée en faisant plusieurs haltes dans les quatre bistrots qui se trouvaient le long du parcours.

     Arrivé dans l’agglomération, il attachait son bourricot dans un coin de la place et lui donnait un peu de foin pour le faire patienter.

     Pendant ce temps, Joseph rencontrait du monde, il allait trinquer au café et le temps s’écoulait plus vite. Parfois même si vite, que lorsqu’il se décidait à retourner chez lui, le soleil était déjà couché.

     Verre de vin après verre de vin, la tête lui tournait un peu. Aussi, sitôt installé sur le siège du véhicule il s’endormait presque sur-le-champ. L’âne connaissait la route, et puis la circulation était moins dense que de nos jours, à peine quelques charrettes de ci de là.

     Alors au pas l’animal refaisait le chemin inverse. A chaque bistrot, il marquait une pause, ce qui avait pour effet de réveiller son maître qui n’était plus bercé par les cahots de la chaussée.

     Joseph descendait pour aller boire un autre verre de vin, et ils reprenaient tous les deux la route, jusqu’au prochain café. Cela se renouvelait quatre fois, et lorsque enfin ils arrivaient à la ferme, beaucoup de gens avaient rejoint leur lit depuis longtemps.

     Je détiens cette histoire vécue, par l’intermédiaire de ma Grand-Mère, qui vers la fin de sa vie, aimait tant m’en raconter.

     Je ne me souviens plus, si Joseph et son âne firent ces promenades pendant de longues années. Certainement pas, car à un tel régime, cela n’était même pas souhaitable.



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