IL - La plus grande peur de ma vie

     Je me trouvais toujours à Innsbrug en déplacement. A cette période, j’étais affecté à l’hôpital, pour assurer la surveillance de détenus malades.

     C’était des soldats français, ayant encouru des peines d’emprisonnement pour mauvaise conduite envers l’occupant.

     Comme chaque semaine, nous avions droit à un jour de repos. J’en profitais avec plusieurs camarades pour nous rendre dans un village voisin.

     Ce petit bourg était situé à flanc de coteau, et où parait-il l’ambiance faisait merveille. Pour y accéder, il fallait emprunter un vieux funiculaire qui, tant bien que mal assurait la navette plusieurs fois par jour.

     Nous nous y rendîmes dans l’après-midi, et comme le coin était agréable et les gens accueillants, nous décidâmes de rester le soir pour participer au bal. La dernière navette de cars étant prévue pour minuit.

     La soirée se passait fort bien, et le temps aussi d’ailleurs. A un certain moment, je n’aperçus aucun de mes copains. Je consultais ma montre qui s’était arrêtée. Je m’informais de l’heure auprès de gens ; minuit était passé depuis longtemps.

     Je me trouvais seul, comme français, dans ce village, à plus de deux kilomètres de la ville.

     Je prenais mon courage à deux mains, et empruntais la route d’un pas mal assuré.

     Depuis quelques temps, circulaient des bruits de bandits révolutionnaires qui se cachaient dans les montagnes, et qui, la nuit faisaient irruption dans la ville, s’attaquant aux militaires isolés.

     En effet l’on avait retiré plusieurs corps de soldats noyés dans le fleuve qui traverse la ville.

     Je tâchais de ne pas trop y penser, lorsque à moitié chemin, où la route traversait une épaisse forêt de sapins ; j’entendis des pas qui circulaient dans le bois à moins de cinquante mètres de moi. J’entrevoyais des ombres se dirigeant dans ma direction.

     Mon sang se glaça subitement dans mes veines. Surtout, que ce jour là, je n’étais pas armé ; je n’avais pas crû bon de prendre mon colt, très encombrant en l’occurrence.

     Je me dissimulais dans le fossé, attendant la suite des événements. J’étais persuadé d’être suivi depuis mon départ, et que ma dernière heure allait arriver d’un moment à l’autre.

     Les pas arrivèrent jusqu'à la route à dix mètres de moi. D’abord une personne sauta le fossé pour recevoir la deuxième dans ses bras.

     Il y eût des rires, et puis des baisers échangés.

     Quant à moi, mon pauvre cœur reprit son rythme normal. J’effectuais la fin du parcours d’un pas léger et sans encombres. Comme la vie me paraissait belle tout à coup !



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