V - Suite des déboires du maître

Décidément, ce M. de Graverols de la Motte n’avait pas de chance lors de la visite de ses invités.

Cela se passait un dimanche vers la fin de l’après-midi.

Après avoir bien festoyé, une petite promenade dans le parc semblait tout indiquée. Ses amis et lui se dirigèrent même jusqu’à la route nationale qui longeait la propriété. Alors, le comte vit apparaître le vieux Rodier, qui revenait (comme tous les dimanches, d’ailleurs) de village de Sainte-Croix-Vallée-Française. Le bonhomme zigzaguait un peu sur la route, il avait certainement trop fait honneur à la divine bouteille. M. de Graverols, qui le connaissait de longue date, savait que lorsqu’il avait bu un petit coup, il racontait des histoires drôles. Alors, pour distraire ses invités, il accosta Rodier, en lui disant: «Ca va, mon brave? La journée s’est bien passée? Vous n’avez rien d’intéressant à nous raconter, aujourd’hui?»

Rodier, c’est vrai, buvait volontiers un petit verre le dimanche, peut-être pour noyer la solitude qu’il éprouvait toute la semaine. Mais il avait oublié d’être bête. Au ton que le comte avait pris, il comprit que ce dernier voulait le faire parler, uniquement pour distraire son monde. Rodier ôta son chapeau, salua toute l’honorable société en faisant même des semblants de courbettes. Puis s’adressant aux gens qui l’entouraient, et qui étaient impatients de savoir ce que pourrait bien leur raconter ce pauvre diable: «Vous savez, moi aussi, je connais les bonnes manières. Du temps de mon grand-père, et de mon père par la suite, nous étions considérés comme des bourgeois. Bien sûr, pas des bourgeois de première classe, mais des gens comme M. de Graverols, par exemple.»

Le charme fut subitement rompu. Le comte entraîna le plus vite possible tout son monde en direction du château. Rodier reprit sa route avec un petit sourire au coin des lèvres. Il n’était pas mécontent d’avoir joué ce mauvais tour à ce pédant de bourgeois aux grands airs.



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