L - Les malheurs de Victor

     Victor avec sa femme Paulette, habitaient dans une petite ferme, non loin du village de Sainte Croix Vallée Française. Ils approchaient de la soixantaine, et depuis longtemps les enfants avaient pris leur envol. De temps en temps, l’un d’eux venait leur faire une courte visite, mais de plus en plus rarement.

     Comme beaucoup de gens de chez nous, ils vivaient principalement des maigres produits de la terre, ainsi que des revenus de quelques moutons ou chèvres. Leur seul luxe, c’était de posséder un cheval. Il leur rendait depuis fort longtemps de précieux services. Pour transporter le bois, ou les denrées de la ferme, ainsi que les marchandises qu’il fallait apporter, ou chercher au village.

     Malheureusement Bijou prenait de l’âge, il avait plus de vingt cinq ans, et malgré les soins que lui prodiguait son maître, la bête baissait la tête de jour en jour, et ses jambes devenaient lourdes.

     Un matin, lorsqu’il se rendit à l’étable, pour lui apporter sa ration de fourrage, il trouva Bijou couché. Malgré toutes les incitations de Victor, le cheval ne pût se lever. (Il est vrai que contrairement à la vache, ou aux moutons, qui, pour se lever plient les genoux, le cheval déploie ses pattes en avant et se met debout d’un seul coup. Cela lui occasionne un effort supplémentaire).

     Alors que faire ? Il alla consulter sa femme, ensuite les voisins. Tous furent d’accord pour dire que la seule solution, était de faire venir le marchand de bestiaux, afin de conduire la pauvre bête à l’abattoir à l’aide de sa bétaillère. C’est la mort dans l’âme, que Victor vit disparaître son cheval, surtout que le marchand ne fût guère généreux pour le payement.

     C’est comme à présent, lorsque vous faites partir votre voiture à la casse. Tout juste si l’on ne vous demande pas de payer le prix du transport.

     Victor s’était promis de se passer de cheval à l’avenir, mais au bout d’un mois sa bête lui manquait trop. Il en déprimait même. Alors il vida son livret de caisse d’épargne, ainsi que celui de sa femme, et à la première foire qui eût lieu à St Jean du Gard, il s’y rendit pour voir s’il pourrait trouver, à un prix raisonnable bien sûr, le similaire en quelque sorte de Bijou.

     Il fit le tour du foirail, qui contenait beaucoup d’animaux, mais aucune bête n’était à son goût.

     Et puis, tout à coup, ses yeux se portèrent sur un cheval du genre qu’il recherchait. Il avait à peu près la même taille que Bijou, sa robe était beaucoup plus foncée, ainsi que la crinière et la queue. Il avait le poil luisant, et portait la tête haute. Victor s’approcha de la bête qui se laissa facilement caresser. Le marchand vint vanter les mérites du cheval. Il n’avait que quinze ans, et était en pleine forme. En effet la vérification de ses dents très saines, le justifiait.

     Un palefrenier le détacha, et le fit marcher, et même gambader à plusieurs reprises. Restait le prix, un peu élevé pour la bourse de Victor, mais après de longs marchandages, et plusieurs verres de vin au bistrot, l’affaire fut conclue.

     Il ne restait plus qu’à retourner à la maison au plus vite, pour faire admirer sa nouvelle acquisition à son épouse.

     Le trajet se déroula sans encombre (une vingtaine de kilomètres environ). Victor rentra le cheval dans la cour de la ferme, et alla chercher sa femme.

     Lorsqu’ils revinrent, ils ne virent plus l’animal. Pourtant il n’avait pu s’échapper, car le portail était fermé. Alors ils se rendirent à l’étable, où Bijou avait retrouvé sa place habituelle.

     Tout d’abord ils furent surpris, et puis c’est la femme qui comprit la première ce qui venait de se passer. C’était bien leur ancien cheval, que Victor venait de racheter.

     Le marchand, qui était venu chercher Bijou pour l’amener soit disant à l’abattoir, pensa qu’il était préférable de s’adresser à un maquignon véreux de sa connaissance. Ce dernier avait le secret de rajeunir un animal à peu de frais.

     C’était très simple : il commençait à donner à la bête des produits dopants, qu’il mélangeait dans sa nourriture, ainsi que de l’avoine ou autres mélanges avec du son. Ensuite il fallait limer considérablement les dents pour les rendre plus courtes. Un bon coup de tondeuse sur tout le corps, ainsi que la crinière. Il ne restait plus qu’à foncer le pelage, travail effectué par un spécialiste.

     Le cheval devenait provisoirement méconnaissable et paraissait effectivement bien plus jeune. Surtout qu’en plus de ces soins intensifs, il n’était pas rare, que le palefrenier lui administra quelques bons coups de fouet, pour lui faire circuler le sang, disait-il.

     Au bout d’un mois de ce régime, le cheval était prêt pour la vente, il suffisait de trouver une bonne poire. Le sort voulût que cela tombe sur le pauvre Victor. Il était complètement abasourdi, et sa femme ne faisait rien pour le consoler.

     Comment avait-il pu se faire rouler de la sorte ? La colère et le dégoût le tint éveillé toute la nuit. Déjà, le lendemain, Bijou faisait moins le beau, il n’avait pas touché à sa nourriture habituelle. Le déclin fût rapide, et huit jours après la pauvre bête agonisait.

     Victor essaya de contacter le marchand, qui jura qu’il avait bien livré le cheval à l’abattoir, comme promis. Il se rendit également au marché de St Jean du Gard, où personne ne se rappelait ce maquignon.

     Alors, découragé, Victor enterra son pauvre Bijou tout au fond du jardin, en se promettant que l’on ne l’y prendrait plus. (Tiens voilà que je me prends pour La Fontaine à présent).

     Les voisins faisaient semblant de le plaindre, mais sitôt tourné le dos, ils riaient sous cape.

     Il resta un an sans attelage, puis se décida un jour d’acheter un âne. Là au moins, il était sûr qu’il n’y aurait pas de confusion possible.



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