LI - Le chaton abandonné

     Un matin de printemps, je travaillais dans un champ non loin de la maison. Tout à coup, j’aperçus, se dirigeant vers moi, une petite créature dont il m’était impossible de préciser la forme.

     C’était un pauvre petit chaton, qui avançait en chancelant, la bouche ouverte, d’où ne sortait aucun son. (Il avait dû tant miauler auparavant).

     Sa tête était disproportionnée d’avec son corps, où l’on apercevait un œil implorant, (l’autre était déjà mort). Quant au pelage, pratiquement inexistant, il se rapprochait du roux. Je restais là, abasourdi à la regarder, me demandant d’où pouvait venir une telle décrépitude. Et puis je compris la présence de ce pauvre animal.

     Nos plus proches voisins avaient dû déménager pour se rendre dans une ferme plus importante. Cela faisait une quinzaine de jours, et par mégarde, ils durent oublier le petit chaton, qui devait avoir deux mois au maximum. Depuis, par quel miracle avait-il survécu ? Je pense que j’étais sa dernière chance.

     Pris de compassion, je le ramenais à la maison, pour lui donner un peu de lait à boire. Sitôt qu’il flaira l’odeur du liquide, il se jeta goulûment sur le gobelet, mais à la deuxième lampée, il s’arrêta, son estomac était complètement fermé.

     Alors je le dépose délicatement dans la grange où je lui fais un petit nid dans la paille, lui laissant son bol de lait à proximité. Je retournais au travail, et à midi le chaton n’avait ni bougé, ni bu une seule goutte. Je pensais qu’il avait vraiment trop souffert et que le lendemain, je le trouverais mort.

     Au levé du jour, il me tardait de me rendre à la grange pour voir, ce qu’il était advenu de la pauvre bête. Il n’était plus à la même place, par contre le lait avait disparu.

     Diane ma chienne, qui avait l’habitude elle aussi de coucher dans cet endroit, se trouvait un peu plus loin. Contrairement aux autres jours, elle ne se leva pas à ma vue pour venir me faire la fête. Pensant qu’elle était peut être malade, je m’approchais en lui parlant, et soudain l’incroyable se produisit. Le chaton était entre ses grosses pattes en train de téter.

     Il faut dire que Diane venait d’avoir des petits dernièrement, que nous avions dû supprimer à la naissance. Sans nul doute, l’instinct maternel avait joué un grand rôle dans cette cohabitation. Le tout est que minet prit vite du poil de la bête (si l’on peut dire). Huit jours après, il était méconnaissable.

     La chienne veillait sur lui, et il n’était pas question que d’autres chats s’approchent de trop près du nouveau venu. Malgré tout il ne se développa pas normalement. Il avait trop souffert pendant longtemps. Par exemple sa voix ne revint pas, l’œil resta toujours fermé. Il était beaucoup plus petit que la normale ; on aurait dit un chat nain.

     Par contre il avait un très joli pelage roux avec quelques rayures plus foncées. C’était le gâté de la maison, tout le monde l’adorait, surtout mes jeunes frères. Bien sûr, il restait les trois quarts du temps dans la cuisine. Il n’était pas de taille pour aller chasser les rats comme les autres chats.

     C’était une femelle, mais qui ne mit jamais de petits au monde ; de ce côté là il y avait eu sûrement trop de séquelles.

     Elle ne devint pas très vieille non plus, sept ou huit ans environ. Toute la famille la regretta beaucoup. C’est peut être Diane qui fût la plus affectée, c’était vraiment sa grande amie.



suiteles souvenirs de Rémy Le Destin - Roman La page de Rémy