Marie Roux

Marie Roux est morte à cent quatre ans
Sans amis ou parents auprès d'elle,
Elle n'avait jamais eu de mari, ni d'enfants,
C'était une vieille demoiselle.

Si je vous raconte l'histoire de ce personnage
C'est que je n'ai pas encore compris
Comment peut-on atteindre un si grand âge
Dans les conditions précaires de sa vie.

Elle était seule avec sa mère,
Dans leur maison un peu isolée,
Quand un vagabond, un pauvre hère,
Se jeta sur elles pour essayer d'en abuser.

La petite n'avait que dix ans à peine,
Elle fût complètement terrorisée,
Par la suite elle revoyait sans cesse la scène,
Son comportement s'en trouva quelque peu changé.

Quand j'ai rencontré Marie elle avait passé la cinquantaine,
Elle allait sur la route à grandes enjambées,
Elle était vêtue d'une longue robe de laine,
Et sur la tête un fichu bien serré.

A la mort de ses parents
Elle hérita d'une "clède" et d'un jardin,
La petite bâtisse lui servit de logement
Elle s'installa avec poules et lapins.

Ce n'était qu'une seule pièce
D'une vingtaine de mètres carrés environ,
Le sol était fait de terre sèche,
Il n'y avait jamais eu de plafond.

Le toit était recouvert de tôles ondulées
Qui laissaient s'engouffrer le vent,
Dans un coin un semblant de cheminée,
Dans l'autre coin, un vieux bat-flanc.

Pour se laver il fallait chercher de l'eau à la fontaine
Qui n'était pas trop éloignée
Pour s'éclairer la lampe acétylène,
Il n'était pas question d'électricité.

Si je fait la description des lieux si complète,
C'est qu'une fois je me suis permis d'y aller,
C'était à l'occasion d'une fête
Lui offrir un gâteau qu'elle a gentiment refusé.

Pour se nourrir, elle avait les oeufs de ses poules
Beaucoup de légumes de son jardin
Parfois du riz ou de la semoule
Et deux fois par semaine, une baguette de pain.

Aussi, elle était longue et maigre,
Ce régime lui convenait bien,
Tous les jours d'un pas allègre
Elle dévorait des kilomètres de chemin.

Elle se rendait régulièrement à l'église
Distante d'une heure de route environ
Elle avait comme devise
D'aller prier tous les jours pour son pardon.

Pendant sa très longue existence
Elle n'eût jamais recours à un docteur,
Elle se moquait de la science
C'est elle même qui soignait ses rhumes et ses douleurs.

Ce n'est qu'après avoir passé la centaine
Qu'elle se résigna enfin
L'hiver de se rendre pour quelques semaines
Dans un établissement de premiers soins.

Si elle a pu, les dernières années
Résister aux rigueurs féroces de l'hiver
C'est grâce aux bons soins répétés
De son petit voisin Gilbert.

Il veillait très souvent sur elle,
Lui faisait quelques commissions,
Allait chercher l'eau pour la vaisselle,
Coupait le bois pour chauffer la maison.

Elle n'avait pas fréquenté souvent l'école
A douze ans elle savait à peine lire et compter
Pourtant, ce qu'il y avait de très drôle
C'est que, très vieille elle savait très bien s'exprimer.

Un jour j'ai lu une de ses lettres
Qu'elle avait envoyée à un voisin,
Ses phrases étaient courtes et correctes
Il ne manquait ni virgules, ni points.

Je pense qu'elle a tout fait pour s'instruire,
Pour mieux analyser son destin,
Afin de pouvoir y survivre
Sans pour autant en connaître la fin.  

Nota : "clède" = séchoir à châtaignes.

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