Poulou du Banquet

Poulou, l'innocent du village
Habitait aussi le Banquet
Malgré ses cinquante ans on ne lui donnait pas d'âge
Il n'était pas méchant, les enfants l'adoraient.

Les trois quarts du temps, il allait de porte en porte
Mendier une cigarette ou un verre de vin,
Quand à la maison, il faisait de la sorte
Que l'on soit en train de prendre le repas du matin.

Alors, il se mettait à raconter ses histoires
Certaines véridiques, d'autres inventées,
Tout se mélangeait un peu dans sa mémoire,
Il ne faisait pas la différence entre le faux et le vrai.

Nous, les gosses, on lui faisait dire la messe
Qu'il connaissait par coeur du début à la fin ;
C'est vrai, que tous les dimanches il se rendait à confesse
Il avait appris tous les rites en Français et en Latin.

Il savait un peu lire et écrire
Mais n'avait jamais pu apprendre à compter.
Malgré tout ce qu'on pouvait lui dire
Il ignorait même la valeur de la monnaie.

Il lui était arrivé des tas de mésaventures
Que pour la énième fois on lui faisait raconter
C'était dit d'une façon si nature
Que pour un peu, on aurait cru s'y trouver.

Par exemple, le jour du Conseil de Révision
Accompagné de Monsieur le Maire,
Il se rendait pour la première fois au canton
Au contrôle de l'examen militaire.

Pour lui, la chose n'était pas coutumière :
Il lui fallait complètement se déshabiller,
Les gendarmes avaient fort à faire
Pour arriver à le persuader.

Alors du fond de la salle
Le médecin-major qui assistait au débat
Pris la parole et d'une voix magistrale :
"Pourquoi faire déshabiller cet homme ?
Regardez moi la physionomie de cet homme
Réformé ! Cas d'aliénation mentale !

Et Poulou d'ajouter :
Au rang des idiots, imbécile comme tout !

C'est ainsi qu'il fut reconnu inapte comme soldat.

Il y avait eu cette triste aventure
Avec une femme mariée,
A chaque récit il changeait de figure
Et se mettait à trembler de la tête aux pieds.

Faut dire que Poulou, quand il était jeune homme
Comme tout être bien portant avait de grands désirs,
Alors il avait pensé qu'il n'y avait qu'à demander, en somme ;
Il pouvait ainsi assouvir son plaisir.

Il se rendit dans une ferme voisine,
Et s'introduisit sans bruit dans la maison,
Celle-ci était pour l'instant vide,
Il se mit dans un coin et baissa son pantalon.

Quelques minutes après, sortant de la cuisine,
La patronne éberluée en apercevant ce tableau
Alla vers le bûcher prendre une grosse badine
Et telle une furie, fonça sur le taureau.

Poulou surpris par cette attitude
Cherchais à s'enfuir, la culotte sur les talons,
Pendant plus de cent mètres la correction fût rude
Les fesses écorchées par les coups de bâton.

Pendant longtemps il n'en dit rien à personne
Gardant pour lui la honte et la douleur,
Il ne comprenait pas que lorsqu'on est un homme
L'on avait pas le droit à un peu de bonheur.

Cette triste histoire lui servit de leçon
Par la suite, il ne lui vint jamais à l'idée
D'agir de la même façon
Avec les dames dont les maris étaient prisonniers.

A soixante ans il fut opéré de la prostate
Cela lui vint subitement
L'ambulance l'amena à l'hôpital en toute hâte
Sans qu'il ait eu le temps de se laver et de changer ses vêtements.

Arrivé à la Clinique Saint Charles
Avant d'administrer les premiers soins
On le dépouilla de ses vieilles hardes
Et il reçut son premier bain.

Les infirmières munies de brosses
Le décapèrent de la tête aux pieds,
Le pauvre Poulou pleurait comme un gosse,
Et ne savait plus à quel Saint se vouer.

On le garda près d'une semaine
Il était soigné et mangeait bien,
Mais ce qui lui faisait le plus de peine
C'était les "margouillages" quotidiens.

Un beau matin nous le vîmes apparaître
Chemise blanche et costume rayé,
Nous mîmes un moment à le reconnaître
Ce n'était plus Poulou, il était tout changé.

Malheureusement toute chose ne dure,
Le lendemain, quand il vint à nouveau
Il avait retrouvé son ancienne allure,
Et avait chaussé ses énormes sabots.

Poulou ne manquait pas de linge
Qui était plus ou moins usagé
Sa mère ne se cassait pas les méninges
A le laver ou le raccommoder.

Un jour une vieille demoiselle
Lui fit le plus beau des cadeaux
En lui donnant deux chemises de nuit en dentelles
Qu'il enfila sur le champs aussitôt.

Etaient-elles en finette ou en coton ?
Le principal est qu'elles lui tenaient chaud,
Il répétait sans cesse à l'unisson :
"Camisettos dé doumaïzellos", il n'y a rien de plus doux sur la peau.

Il aimait raconter une petite histoire
Qui, lorsqu'il était jeune lui était arrivée,
C'était bénin et un peu dérisoire,
Mais cela prouve combien il était rusé.

De bon matin, accompagné de sa mère
Ils partirent chercher des fagots,
Le chemin était long et plein d'ornières,
Il fallait transporter le bois sur le dos.

Au retour sa pauvre mère
Etait écrasée sous le poids,
Car Poulou avait glissé une grosse pierre
En cachette sans qu'elle s'en aperçoit.

La brave femme ne se mit pas en colère
Mais lorsque midi sonna
Elle lui apporta quatre petites pierres
Qui lui servirent de repas.

Maria, la mère de Poulou était une sainte femme
D'ailleurs elle implorait à tout instant le Bon Dieu,
Elle en voulait à mort à ce vilain diable
Responsable du sort de son fils malheureux.

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