Restouble de la Toureille

Restouble habitait la Toureille
Un petit hameau de plusieurs habitants
C'était un vieux solitaire
Qui n'avait ni famille, ni parents.

Quand je l'ai rencontré je n'avais que dix ans, à peine,
C'était un homme maigre et grand,
Il avait dépassé la soixantaine
Je revois encore son grand chapeau sur ses cheveux blancs.

Eté comme hiver, il portait le même costume
Un ensemble côtelé donnant sur le marron,
Il portait également les même chaussures,
Des gros souliers ferrés à la pointe et au talon.

A la mort de ses parents il voulût prendre femme,
Mais personne ne sût exactement ce qui s'était passé,
Une semaine après les noces la mariée avait plié bagages
A la Toureille elle ne remit jamais les pieds.

Les voisins ne furent pas outre mesure étonnés
Car ils connaissaient bien le comportement du garçon ;
Depuis son enfance il avait de drôles d'idées,
Aucune fille n'avait voulu de lui dans les environs.

Ainsi, il vécût seul pendant toute sa vie,
Passant une grande partie de ses journées dans les champs,
Il fuyait toute compagnie
Et s'enfermait chez lui dès le soleil couchant.

Pour la nourriture il n'avait pas de problèmes
Il se contentait du strict minimum,
Tous ses repas était toujours les mêmes
Des "tourtels" frits dans un petit poêlon.

Les "tourtels", ou beignets ou galettes
C'était de la farine mélangée à de l'eau,
Qu'il étalait telle une omelette,
Ce qui donnait de merveilleux tourteaux.

Parfois le Dimanche, pour améliorer le menu,
Il remplaçait l'eau par du lait de chèvre
Ainsi la galette était plus moelleuse et dodue,
Le repas devenait un vrai festin de rêve.

En principe, sa maison n'était ouverte à personne,
Pourtant, plusieurs fois j'ai eu le privilège de m'y rendre :
C'était au moment des fêtes des écoles,
Nous lui apportions la fougasse de fin d'année.

Bien entendu, nous avions toujours la même réponse,
Il ne pouvait se permettre de participer,
Quant à la tombola, n'ayant jamais de chance,
Il ne se risquait pas à jouer.

Il nous recevait sur le pas de la porte,
Mais par l'entrebâillement on pouvait apercevoir
Comme les stalactites dans une grotte,
Les énormes toiles d'araignées allant du plafond aux placard.

Alors, voyant notre surprise
Il nous disait de sa voix chevrotante avec un air malin :
Ce sont les meilleurs attrape-mouches,
Si je les laisse, c'est pour mon bien.

Comme je l'ai déjà dit il avait des idées bizarres
Où s'ajoutait un brin de cruauté
C'est ainsi cette petite histoire
Qu'il se plaisait à nous raconter.

Du temps où il vivait avec sa mère
Cette dernière souvent se plaignait
Qu'il fallait agrandir la chatière
Car ses chats, trop gros, ne pouvaient plus passer.

Un soir qu'il était seul à la maison,
Et que les trois chats dormaient au coin du feu,
Il entoura la chatière de poinçons
Et alla chercher de la poudre qu'il serra fort dans un chiffon.

Ensuite il fit un trou dans les cendres
Et y plaça le dit chiffon,
Il n'avait plus qu'à attendre
Que se produise l'explosion.

Il y eût une détonation énorme,
Les cendres volèrent au plafond,
On ne distinguait aucune forme
C'était une vraie désolation.

En nous racontant, Restouble avait un petit sourire,
Il disait presque en aboyant :
Ma mère trouvait la chatière trop petite,
Les trois chats l'on passée en même temps.

Ma mère étant jeune fille
Allait garder souvent les moutons,
Elle en profitait pour faire naviguer ses aiguilles
Ou broder de jolis napperons.

Elle conduisait souvent les bêtes
Du côté de l' "Abriguet",
L'herbe y était tendre et verte
Il y avait une source pour se désaltérer.

Restouble y possédait une parcelle,
Avec un petit morceau de pré,
Parfois il venait dire bonjour à la bergère
Et même lui offrait des fruits de son cerisier.

Un jour que les brebis broutaient tranquillement,
Une gourmande se détacha du troupeau
Pour se rendre dans le pré du voisin furtivement,
Accompagnée de son petit agneau.

Germaine n'avait point fait attention
Toute occupée à son tricot,
Quand, tout à coup, une grande détonation
Retentit dans la combe suivie de l'écho.

Levée en toute hâte,
Elle eût le temps d'apercevoir
Un homme qui disparaissait à quatre pattes
Le visage couvert d'un sac noir.

Elle n'eût aucune peine
A reconnaître l'assassin,
Les habits étant toujours les mêmes
Et son allure de félin.

La pauvre bête touchée à mort
Se débattait en roulant sur le dos,
Le petit agneau, tel un ressort
Alla se réfugier au milieu du troupeau.

Prise d'une panique folle
Ma mère rassembla le cheptel de son mieux,
Les larmes plein les yeux et les jambes molles
Elle allait affronter le courroux de ses vieux.

Ernest ne s'en prit point à sa fille
Mais la moutarde lui avait monté au nez,
Sans les paroles apaisantes de la chère Mathilde
Je crois bien que Restouble aurait drôlement dégusté.

Il se contenta d'aller chercher la bête
La transportant des kilomètres sur son dos,
Ensuite il la dépeça d'une main experte
Afin de récupérer un peu de viande et la peau.

Sur terre le Bon Dieu ne lui en tint pas rancune
Il le laissa vivre jusqu'à quatre vingt dix ans
A sa mort les journaux n'en firent point la une
Restouble était un être parmi les autres simplement.

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